Je constate, avec satisfaction, que Madame LAMBERT, présidente du puissant lobby du COPA & de la COGECA à Bruxelles, s’intéresse aux activités de ma ferme pour engager une polémique autour des transferts de DPB (Droit à Paiement de Base).
Ce qui est croustillant dans cette séquence, c’est qu’elle s’offusque de la financiarisation des aides publiques de la PAC (Politique Agricole Commune), processus ultime de sa logique ultra-libérale, pour laquelle elle a joué un rôle absolument central et déterminant, conduisant à l’émergence d’un « marché » pour le droit à primes.
Le revenu des agriculteurs européens est, dans ce contexte et je ne fais pas exception, constitué de deux composantes essentielles : la vente de produits agricoles et les aides publiques de la PAC. Pour les activités éligibles à ces aides, ne pas y avoir accès entraîne une perte de revenu substantielle. Ma ferme, comme des centaines de milliers d’autres n’échappe à ce constat.
Revenons à la polémique du moment et retraçons la chronologie de la situation.
En 2015, je récupère 55 hectares des prairies humides que personne ne souhaitait plus valoriser par du pâturage, jouxtant 40 hectares que j’avais également pris en fermage en 2009, pour y faire pâturer mes vaches maraîchines et mes chevaux de trait poitevins. L’ensemble de ces surfaces ne bénéficiait pas de droits à primes, les fermiers précédents les ayant conservés et activés sur d’autres surfaces. J’ai donc décidé d’investir sur ces surfaces, et en 2016 de les doter de droits à primes, même si je ne suis que locataire.
En 2024, l’un des propriétaires vend l’intégralité de sa propriété comprenant une maison, des dépendances et 47 hectares de prairies sur lesquelles j’étais fermier, que j’avais doté de DPB, à un prix de vente trop élevé à l’approche de mon départ à la retraite, pour justifier que je ne souhaite pas me porter acquéreur, malgré la priorité que me confère mon statut de fermier.
Les nouveaux propriétaires souhaitent jouir de l’espace qu’ils viennent d’acquérir, ne souhaitent pas prolonger le bail. Ce choix respectable a donc pour conséquence l’obligation pour moi de réduire la taille de mon cheptel et retrouver un équilibre dans le fonctionnement de ma ferme nécessitant plusieurs décisions :
- Au-delà, de ces 47 hectares, je lâche également une dizaine d’hectares de prairies éloignées de mon siège et n’étant plus indispensables vue la reconfiguration de la taille de mon cheptel. Ces 10 hectares sont repris par un jeune éleveur venant de s’installer à qui j’ai cédé gracieusement les DPB associés.
- Afin de récupérer la dotation en DPB réalisée par mes soins sur ces 47 hectares quelques années plus tôt, je décide donc effectivement de remettre en vente les DPB que j’avais fournis et que je ne pouvais plus activer suite à cette vente, et à la perte de mon statut de fermier. Il ne s’agit donc que d’une remise en « marché » profitant, comme ce fut mon cas en 2016, à des agriculteurs ayant du foncier non doté de droit à prime, parce que les anciens exploitants, dans ce système libéral, ont pu les conserver pour les activer sur d’autres surfaces. J’ai trouvé acquéreur pour 37 hectares, et j’ai mis à disposition les 10 hectares restant à un groupement foncier valorisant des estives dans les alpes. Pouvant continuer d’activer l’ensemble des DPB dont je dispose aujourd’hui sur le 152,17 hectares de terres déclarés à la PAC, à la date du 13 mai 2024, je retire l’annonce publiée sur agriaffaires suite au dépôt de mon dossier PAC. Site sur lequel il est d’ailleurs aisé de constater à quel point cette pratique est courante, quand on constate le nombre vertigineux d’annonces proposant la cession de DPB
Par ailleurs, au cours de ces 20 dernières années, j’ai su libérer à plusieurs reprises du foncier sur lequel j’étais fermier, avec les droits à prime associés sans contrepartie, ayant permis la concrétisation de l’installation de plusieurs jeunes, ayant des difficultés à aboutir dans le parcours « classique ».
Voilà donc les coulisses de cette polémique moisie dont l’enseignement à tirer est que nous devons effectivement sortir des logiques spéculatives sur des droits à primes dont l’ensemble des agriculteurs a pourtant besoin pour espérer obtenir un revenu digne.
Ce qui est stupéfiant, c’est que c’est la Présidente du COPA & de la COGECA qui dénonce l’absence d’éthique de ces mécanismes et de cette financiarisation, alors que c’est elle qui en est la principale instigatrice à Bruxelles. Nous pouvons donc effectivement parler de double discours.
Ce qui est encourageant, c’est que je dois constituer une réelle menace dans leurs petits arrangements entre amis permettant de tout financiariser depuis les aides publiques jusqu’au carbone, en passant par la biodiversité, pour justifier un tel acharnement sur ma ferme. Mais le jour où mes propositions sur la réforme de la PAC aboutiront enfin, basées sur les aides à l’actif plutôt qu’à l’hectare, ces pratiques spéculatives disparaitront. Et si c’était plutôt ça qui motivait la surprenante réaction de madame Lambert ?