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Viande cellulaire – dialogue avec Gilles Luneau auteur de « Steak Barbare »

A l’occasion de la sortie du livre « steak Barbare », Benoit Biteau a invité son auteur à Strasbourg, pour s’entretenir avec lui du développement de la viande cellulaire et de l’impact que ces nouvelles technologies pourraient avoir sur l’élevage et plus largement sur l’agriculture.

Au cours de votre enquête aux États-Unis, vous avez rencontré de nombreux acteurs et chercheurs qui s’investissent dans la recherche et le développement de la viande cellulaire. Quelle impression retirez-vous de ces rencontres ?

Gilles Luneau :
C’est en 2013, que pour la première fois, un scientifique de l’Université de Wageningen au Pays-Bas a fait la une des journaux. Il avait réussi à faire un gramme de viande de culture. Depuis les choses ont évolué très rapidement et en particulier aux USA où il règne une atmosphère d’euphorie. Des milliardaires, en particulier des GAFA et de la Silicone Vallée, mettent la main au porte-feuille. Pour vous donner un exemple, des millions de dollars sont investis dans le développement de viande cellulaire. Des start-ups émergent. Elles ont des business plans plein leurs tiroirs pour offrir des alternatives alimentaires aux militants des associations d’activistes anti-specistes, des trans-humanistes puis de tous les citoyens. Des multinationales de la viande comme Tyson ou Smithfield investissent également massivement dans ce secteur. La Commission européenne me parait très en retard dans sa réflexion sur ces nouvelles technologies et sur la prise en compte de leur impact potentiel sur l’agriculture.

Benoit Biteau :
Effectivement, Gilles Luneau a raison. La proposition de réforme de la PAC, qui a été maintenue par Ursula Von der Leyen, n’aborde absolument pas ces évolutions extrêmement rapides. De nouvelles entreprises, comme Impossible Food, que leur objectif est de produire des ersatz de viande, faite de cellules aggloméré. Elles mobilisent des moyens financiers considérables et la situation évolue très vite. l’Union européenne négocie des accords de libre échange avec le MERCOSUR par exemple qui intègre l’ouverture de ces frontières. Près de 100 000 tonnes de viande en provenance de l’Argentine, du Paraguay ou du Brésil. Ce sont des tendances, lourdes. Il est impossible à l’heure actuelle de savoir précisément quelles seront les répercussions sur des secteurs de l’élevage. Par contre je ne comprends pas que la Commission européenne poursuive son travail comme si de rien était. Ce n’est pas sérieux.

Vous montrez que des associations comme L214 en France, sont directement financées par des fondations américaines. Comment expliquez-vous cette proximité ?

Gilles Luneau :
L214 est apparue en France il y a trois ans et elle s’est structurée très rapidement. Il y a aujourd’hui plus d’une soixantaine de salariés. Quelle association environnementaliste ou sociale peut se targuer d’une croissance aussi rapide. Sans les fonds, reçus par des fondations américaines comme Open Philantropy Project, L214 ne serait pas en mesure de créer une telle pression dans les médias. Combien d’associations peuvent se targuer de percevoir plus de un million cent mille euros pour développer sa communication ? Ce qui m’inquiète, c’est que les philanthropes qui militent pour arrêter l’élevage ont également des interêts économiques financiers précis et toute baisse de consommation de la viande est pour eux une bonne nouvelle. Ils sont partie prenante et leurs actions sont loin d’être désintéressées.

Benoit Biteau :
Je suis personnellement favorable à une réduction de la consommation de viande, mais je vais une distinction très claire entre celle qui sort d’usine à viande hors sols, où les animaux sont entravés, ou ils ne peuvent pas sortir et qui sont nourris avec du maïs, complémenté par du soja qui vient de l’autre bout de la planète, et celle qui est produite par des éleveurs en pâturages extérieures, qui permettent de valoriser des prairies permanentes qui sont dans de nombreuses régions la seule activité agricole possible. Je reproche à ses associations d’avoir une vision qui va à l’encontre de l’écologie, et qui ont une méconnaissance totale de l’agronomie. L’élevage et les cultures sont complémentaires et l’ont toujours été jusqu’au milieu des années 1950, lorsque les produits de substitution aux céréales sont arrivés par millions de tonnes dans les ports de l’ouest de la France et de l’Europe. Si la Bretagne est submergée par les nitrates, ce n’est pas du au fait qu’elle bénéfice de conditions géographiques exceptionnelles. C’est uniquement par ce que ces usines à viande sont à proximité des zones portuaires. Nous devons tout mettre en oeuvre dans la prochaine PAC pour récréer le lien entre l’élevage qui amène des engrais naturels et les cultures. C’est ce lien que nous devons remettre en place. Sans cela, les cultures continueront à être dépendantes des énergies fossiles, en particulier le méthane, pour apporter l’azote nécessaire à leur croissance. La vision abolitionniste de l’élevage ne tient pas la route.

Quelles sont les motivations selon vous sont derrière ces évolutions radicales et en particulier de leur rapport avec la nature et avec la vie

Gilles Luneau :
Depuis le millier des années 1950, le nombre d’agriculteurs a baissé de manière dramatique. À cette époque, une personne sur deux était paysans. Les gens savaient que la vie et la mort étaient intrinsèquement liées. À l’automne, lorsqu’ils se réunissaient pour tuer le cochon et préparer le boudin pour récupérer le sang, la graisse pour faire du saindoux les saucisses et les jambon pour que la viande puisse être conserver et manger en hiver, c’était un moment festif et grave en même temps. La vie ne pouvait se poursuivre que parce que l’homme assumait en totalité sa place dans la nature et dans la chaîne alimentaire. Nous sommes omnivores et nous l’avons toujours été : pour cela, il était nécessaire de tuer des animaux que nous avons élevés que nous avons côtoyés. Il s’agissait d’un rituel qui nous obligeait à penser à la finalité de nos existences. Aujourd’hui, la mort est évacuée. Elle n’est plus visible nulle part.

Benoit Biteau :
Je partage le point de vue de Gilles Luneau. Nous sommes confrontés à une question métaphysique. Nous devons redonner aux animaux une place dans le monde dans lequel nous souhaitons vivre. Je suis un farouche adversaire des usines à viande et de leur suite, ses abattoirs gigantesques où les animaux sont abattus dans des conditions inadmissibles aussi bien pour eux que pour les femmes et les hommes qui travaillent dans ces établissements huit heures par jour. Seule la renaissance des abattoirs de proximité, l’abattage à la ferme nous permettront de sortir d’une industrialisation de la mort qui n’est pas acceptable. Il est nécessaire de remettre en cause la spécialisation des régions ; les unes destinées à l’élevage hors sols, les autres vouées à une céréaliculture dépendante des énergies fossiles, qui épuisent les sols, nous seront dépendants des industriels de la chimie et du pétrole. Pour autant, nous ne pouvons pas tomber dans la vision simpliste qui nous est proposée par les partis animalistes qui extrait l’homme de la nature et en fond le gestionnaire ultime de tous les êtres vivants de la planète.

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